
Depuis quelques années, les Émirats arabes unis s’emploient à renforcer leur présence au Tchad, qu’ils considèrent comme un pivot stratégique dans leur agenda d’influence en Afrique subsaharienne, notamment dans la région du Sahel et au Soudan voisin. Ce pays enclavé occupe une position géographique centrale, à la croisée des dynamiques régionales, ce qui en fait une plateforme idéale pour toute puissance souhaitant peser dans les équilibres politiques et sécuritaires de la région. C’est dans cette optique qu’Abu Dhabi multiplie les initiatives de coopération avec N’Djamena, en particulier à travers son appui au plan national de développement « Tchad Connexion 2030 ».Un expert en relations internationales a récemment expliqué que cet engagement émirati ne relève pas uniquement d’une logique de coopération économique. Il s’inscrit dans une volonté stratégique de renforcer l’influence d’Abou Dhabi dans une région marquée par le désengagement progressif de la France et la montée d’acteurs concurrents comme la Turquie. Selon lui, à travers l’appui émirati au « Tchad Connexion 2030 », les Émirats cherchent à consolider leur présence à long terme tout en soutenant le régime de Mahamat Idriss Déby Itno. De son côté, N’Djamena voit dans ce partenariat un levier de développement essentiel, qui pourrait permettre au pays d’accroître son poids régional.Le même expert ajoute que la politique des Émirats au Tchad est guidée par un double objectif. D’un côté, soutenir le régime du général Mahamat Idriss Déby Itno, qui cherche de nouveaux alliés pour consolider son pouvoir depuis la mort de son père. De l’autre, garantir la continuité du soutien émirati aux Forces de soutien rapide (FSR) soudanaises, non pas uniquement pour des raisons idéologiques ou militaires, mais pour servir des intérêts économiques et stratégiques précis. En effet, les Émirats poursuivent un objectif clair : établir une mainmise durable sur les ports clés de la mer Rouge, notamment Port-Soudan, situé au nord-est du Soudan. Le contrôle de ces infrastructures maritimes offrirait à Abu Dhabi un accès direct à une route commerciale vitale, tout en affaiblissant ses rivaux régionaux comme le Qatar ou la Turquie. En soutenant les FSR, les Émirats misent sur un acteur local capable, s’il l’emporte, de leur garantir un accès préférentiel à ces ports, voire d’y établir une présence militaire ou logistique à long terme.L’intérêt croissant des Émirats pour le Tchad s’est intensifié à mesure que le pays s’est rapproché de la Turquie. En janvier dernier, N’Djamena et Ankara ont signé plusieurs accords stratégiques, dont la mise à disposition des anciennes bases militaires françaises d’Abéché et de Faya-Largeau à l’armée turque. Parmi ces deux sites, la base d’Abéché revêt une importance particulière, car elle est située non loin de la frontière orientale avec le Soudan. La prise de contrôle turque sur cette base constitue un tournant majeur qui menace directement les intérêts des Émirats dans la région. En effet, Abéché représentait l’un des points logistiques essentiels pour le passage terrestre des cargaisons militaires à destination des Forces de soutien rapide soudanaises. Avec le déploiement de drones de surveillance turcs dans cette zone, les mouvements transfrontaliers deviennent de plus en plus risqués et visibles, ce qui compromet la discrétion des opérations émiraties. La présence militaire turque, en coordination avec les autorités tchadiennes, empêche désormais toute utilisation libre de ces axes par les Émirats, réduisant leur marge de manœuvre et compliquant considérablement leur stratégie de soutien indirect aux FSR.En parallèle, le Tchad a entamé des négociations avancées avec la compagnie Turkish Airlines pour transformer l’aéroport international de N’Djamena en un hub régional du fret aérien. Ce projet, évoqué par le journal ‘’Ecomatin’’ en juin 2025, s’inscrit dans une vision stratégique plus large : faire du Tchad un carrefour logistique en Afrique centrale, en s’appuyant sur des infrastructures modernes et une diplomatie d’ouverture. Dans cette dynamique, la Turquie joue un rôle central, notamment à travers des projets ferroviaires ambitieux discutés lors du Forum mondial sur la connectivité des transports qui s’est tenu à Istanbul fin juin dernier. Or, cette nouvelle orientation pourrait également nuire aux opérations logistiques discrètes menées par les Émirats arabes unis. En effet, de nombreux médias régionales et occidentales indiquent que l’aéroport de N’Djamena est récemment devenu un point de transit clé pour les cargaisons militaires émiraties à destination des Forces de soutien rapide soudanaises, acheminées sous le couvert d’une aide humanitaire.Cette évolution est intervenue après le démantèlement de la base d’Amdjarass, qui faisait l’objet de critiques internationales croissantes en raison de son utilisation présumée par Abu Dhabi comme plateforme d’expédition d’armes et d’équipements vers les troupes de « Hemedti ». Si les turcs parviennent à obtenir le contrôle logistique renforcé sur l’aéroport de N’Djamena, cela pourrait considérablement compliquer les mouvements aériens non officiels des Émirats, limitant ainsi leur capacité à soutenir efficacement leurs alliés sur le terrain soudanais.Face à cette avancée turque qui restreint progressivement ses marges de manœuvre au Tchad, les Émirats ont été contraints de réadapter leur stratégie régionale. Conscients que l’espace aérien et les infrastructures tchadiennes deviennent moins accessibles en raison de l’influence croissante d’Ankara, ils ont intensifié leur coopération avec les pays voisins, en particulier la République centrafricaine. Le 6 mars dernier, de vastes accords ont été conclus entre Abu Dhabi et Bangui, portant sur plusieurs secteurs, mais surtout sur la logistique et la sécurité. Selon ‘’Jeune Afrique’’, ces accords permettent désormais aux Émirats d’utiliser les aéroports de Bangui et de Birao, dans l’est du pays, comme nouvelles plateformes pour acheminer du matériel militaire vers les Forces de soutien rapide au Soudan. Cette réorientation logistique marque un tournant important dans la stratégie d’Abu Dhabi, qui diversifie ses routes d’approvisionnement pour contourner l’obstruction croissante sur le territoire tchadien. En parallèle, les Émirats renforcent également leur présence logistique à travers le Kenya, l’Érythrée et l’Éthiopie, consolidant ainsi un réseau régional conçu pour assurer un soutien constant à leurs alliés soudanais, malgré les blocages sur certaines routes traditionnelles.Le rôle des Émirats arabes unis au Tchad soulève des interrogations majeures sur la stabilité régionale et la souveraineté des États africains. Leur soutien aux Forces de soutien rapide soudanaises, souvent critiqué pour son opacité et ses conséquences sécuritaires, expose le Tchad à des pressions internationales croissantes et fragilise ses relations avec son voisin soudanais. Cette posture contrastée alimente une dynamique de méfiance et de tensions, mettant en péril les efforts de coopération régionale. À l’inverse, la Turquie apparaît comme un partenaire plus structurant pour N’Djamena, investissant dans le développement économique et la sécurité, notamment à travers des projets d’infrastructures et une présence militaire plus visible mais encadrée. Ce double visage entre une influence émiratie parfois perçue comme déstabilisatrice, et une politique turque plus intégrée, révèle les défis auxquels le Tchad doit faire face pour équilibrer ses alliances extérieures. La clé de la stabilité future réside donc dans la capacité du Tchad à gérer ces rivalités tout en protégeant ses intérêts souverains et en privilégiant des partenariats qui favorisent un développement durable et une paix durable dans la région.